Vendredi, Mai 25, 2018

PARTICIPATION DES USAGERS. Possible en soins primaires ?

Tandis que de rares équipes débattent avec les usagers de l’organisation des soins ou optent pour la santé communautaire, des « patients experts » proposent de nouvelles formes de partenariat.

Quels usagers, pour quelle participation ?

Des droits des patients aux patients experts.
La participation des usagers en soins primaires.
Focus sur les aidants, les associations de patients, la santé connectée.

 

Des années 1980 durant lesquelles l’implication de la société civile dans le domaine de la santé s’accélère avec l’apparition du sida et les premiers scandales sanitaires, et les associations de malades se multiplient, à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, la « démocratie sanitaire » aura mis vingt ans à être consacrée dans les textes. Dès 1986, à l’issue de la première conférence internationale pour la promotion de la santé, la charte d’Ottawa précise que « la promotion de la santé a pour but de donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer » au travers d’une « participation effective et concrète de la communauté à la fixation des priorités, à la prise des décisions et à l’élaboration et à la mise en oeuvre des stratégies de planification ». En France, les premiers états généraux des malades atteints de cancer, organisés en 1998 par la Ligue contre le cancer, font partie des événements fondateurs. « C’est le point de départ d’un véritable changement dans les relations soignants-soignés en cancérologie, témoigne le Pr Henri Pujol, qui présidait alors la Ligue. Nous avons brisé le tabou du non-dit, notamment dans la prise en charge durant laquelle les malades ne voulaient plus se voir cacher la gravité de leur pathologie, devenant ainsi des citoyens responsables ». Les besoins exprimés à cette occasion par les malades ont pour beaucoup d’entre eux trouvé une réponse dans le premier Plan de mobilisation nationale contre le cancer lancé par Jacques Chirac en 2003, se félicite le Pr Pujol. Ainsi du rejet de la façon dont était parfois annoncée la maladie à l’époque (dans un couloir, au téléphone, la veille d’un week-end…), amenant à la création de la consultation d’annonce en cancérologie (mesure 40 du Plan cancer) « qui améliore l’entrée dans la maladie dans le respect du patient, partenaire de son traitement ». Ou de la volonté exprimée d’une égalité d’accès de tous les malades à des soins de qualité, traduite par l’instauration de la démarche d’autorisation sous conditions des établissements en cancérologie. « La Ligue a aussi beaucoup oeuvré pour la prise en charge globale du patient, psychologique et sociale pendant, et après les soins », ajoute le Pr Pujol, avant de préciser que « beaucoup de choses restent à faire, notamment dans la formation des équipes soignantes à répondre toujours mieux aux besoins des malades ».

 

PATIENTS « EXPERTS »

Présents au sein des conseils d’établissement des institutions sociales et médicosociales depuis 1992 et des conseils d’administration des établissements publics de santé depuis 1996, les représentants des usagers ont progressivement gagné en compétences. Au cours de la décennie suivante, a émergé le concept du « patient expert » : un malade ayant acquis une expertise sur les affections qui le touchent, expertise qui peut être utilisée par les établissements de santé en vue de l’amélioration de la prise en charge des patients atteints de symptômes similaires ou de maladies connexes. En psychiatrie par exemple, certains établissements tentent l’intégration dans les équipes de soins de « médiateurs en santé – pairs », anciens usagers considérés comme rétablis, devenant à leur tour « soignants » par le biais de leur expérience personnelle et d’une formation universitaire. Une formation spécifique « indispensable », souligne Catherine Tourette-Turgis, fondatrice de l’Université des patients (au sein de l’université parisienne Pierre-et-Marie-Curie) qui forme une soixantaine de patients par an en éducation thérapeutique du patient (master), en « accompagnement de parcours patient en cancérologie » (DU) et en « démocratie en santé » (DU). Avec des débouchés qui ne feront selon elle que s’accroître dans les prochaines années, notamment dans l’écoute et l’accompagnement des patients souffrant de maladies chroniques. « Je crois à un modèle d’avenir, celui de “consultant en expertise patient” pour améliorer et fluidifier les parcours patient. Les CPAM, les mutuelles et les maisons de santé notamment sont intéressées  », assure-t-elle. Ses travaux sur le thème du rétablissement après cancer l’amènent d’ores et déjà à expérimenter différentes formes d’intervention : un « café du rétablissement » (groupes d’échanges) va ouvrir en juin à l’hôpital Tenon en oncologie, et elle assure la direction scientifique du programme Cancer et travail au sein du groupe Sanofi, où une salariée ancienne malade du cancer est  rémunérée pour accompagner ses collègues atteints par cette maladie.

 

ACCOMPAGNANTS EN SOINS PRIMAIRES...

Si elle est devenue assez courante dans les établissements de santé, la participation des usagers n’en est qu’à ses prémices dans les soins primaires. Jean-Luc Plavis, atteint de la maladie de Crohn depuis 1988, patient expert reconnu et aux multiples casquettes, fait figure d’exception – et peut-être de précurseur. Avec deux professionnels de santé, il est à l’origine de la création de la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) des Chênes à Suresnes* et fait partie de sa gouvernance. À titre bénévole, il accompagne les parcours de certains patients de la MSP, est soumis au secret professionnel et peut intervenir jusqu’au niveau de l’entreprise du patient, si nécessaire. Dès que celui-ci est dans une dynamique de rétablissement prenant en compte les dimensions environnementales, émotionnelles, familiales, culturelles, sociales et professionnelles, il s’efface mais reste disponible par téléphone. Une démarche innovante qu’il souhaiterait voir s’étendre à d’autres équipes de soins, et un modèle en construction : « Le recrutement des accompagnants de parcours de soins doit être cadré, avec une formation universitaire pour que cela puisse devenir un métier (et pas une thérapie individuelle) avec des valeurs éthiques et un financement à trouver ». Autre projet qu’il co-construit actuellement, avec entre autres des professionnels de santé (médecins généralistes, psychiatres, diététiciens…) et le regard intéressé de l’ARS Île-de-France : la création d’une filière de soins et d’accompagnement des troubles des conduites alimentaires (TCA) dans les Hauts-de-Seine, pour laquelle il oeuvre à la mise en réseau de la MSP de Suresnes, en liaison avec le centre de santé municipal, avec plusieurs cliniques et hôpitaux. Le tout sans s’interdire, bien au contraire, de s’intéresser à d’autres pathologies que la sienne – « autour des similitudes du vivre avec une pathologie, un trouble psychique, un trauma » –, préfigurant le « consultant en expertise patient » qu’il appelle lui aussi de ses voeux.

 

... OU PATIENTS « RESSOURCES » ?

Cependant, cette conception du « patient expert » ne fait pas l’unanimité. Professeur émérite d’endocrinologie-diabétologie à l’AP-HP, André Grimaldi invite à réfléchir aux missions, à la formation, à la responsabilité, à l’encadrement, en distinguant « patient expert » et « patient ressource ». « Le patient expert peut avoir de nombreuses missions, avec à chaque fois une formation, des compétences et une responsabilité spécifiques : représentant des usagers en établissement de santé, représentant des patients dans une institution de santé publique (HAS, ANSM…), enseignant sur la relation médecin-malade à la faculté de médecine, médiateur socioculturel en santé communautaire, estime-t-il. Mais je suis beaucoup plus réservé à l’égard du nouveau concept de “patient expert tout terrain” promu par l’Université des patients car on ne peut pas être expert de tout, à l’égard des “patients soignants” qui font de leur maladie leur identité et de leur engagement un modèle, ou encore des “patients coachs” qui se voudraient auto-entrepreneurs ». L’équipe d’addictologie à l’hôpital Bichat, confrontée à une problématique spécifique, fait appel à des patients ressource, pour aider les malades à entrer et à avancer dans un processus de résilience. « Bénévoles, ils font partie de l’équipe soignante et agissent sous sa responsabilité, y compris après la sortie des patients de l’hôpital. Ils bénéficient pour ce faire d’une supervision, précise le Pr Grimaldi. Demander la reconnaissance officielle du métier de “patient expert” poserait inévitablement des questions de responsabilité et de rémunération. »

 

DES ÉQUIPES QUI S’OUVRENT AUX USAGERS

Assez loin de ces considérations, la plupart des équipes de soins primaires commencent tout juste à s’ouvrir à la participation des usagers, mais cette évolution lente fait déjà bouger les lignes, affirme le Dr Patrick Vuattoux, vice-président de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS) et praticien dans la MSP Saint-Claude à Besançon. « Le travail en équipe s’accompagne d’une ouverture d’esprit favorable à des évolutions telles que la participation des usagers, même si les professionnels peuvent d’abord craindre une forme d’ingérence, des actions chronophages et manquent de repères sur ce sujet. » C’est justement pour proposer un éclairage aux équipes que le Dr Vuattoux est à l’initiative de l’élaboration du « Petit guide de la participation en santé de proximité » paru en 2015**. Ce guide donne des repères et des outils pour mettre en place de façon progressive des actions participatives. Il s’inspire de différents modèles (santé communautaire, promotion de la santé, développement durable, développement local) et offre des réponses à une série de questions : à quoi sert la participation ? Participer avec quelles intentions et quelles attentes ? Qui est légitime pour participer ? Quelle est l’échelle territoriale pertinente pour engager une démarche de participation ? Quelles sont les méthodes à suivre ?... Au sein de sa MSP, le Dr Vuattoux promeut la participation des usagers depuis plusieurs années (voir Paroles d’acteurs ci-contre) et constate que celle-ci peut prendre des formes variées, avec des niveaux de participation très différents selon les personnes et fluctuants selon les périodes. « Qu’il s’agisse d’une question posée dans la salle d’attente avec des post-it sur un arbre pour y répondre, d’un groupe de patients réunis pour donner un avis ou évoquer leur parcours de vie avec telle pathologie, d’un débat ou d’un petit journal mis en oeuvre par des usagers, ces initiatives font évoluer l’état d’esprit des professionnels en interrogeant leur organisation du travail, c’est passionnant », s’enthousiasme-t-il.

Depuis 2017, les équipes de soins primaires ayant adhéré à l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) ou à l’accord national des centres de santé sont incitées à ouvrir le dialogue avec les usagers : la mise en place d’un questionnaire permettant d’évaluer la satisfaction et les besoins exprimés par les patients sur l’organisation et les services offerts par la structure donne lieu à une petite rémunération d’équipe.

 

* Voir la vidéo : https://vimeopro.com/user31873931/le-concours-medical/video/199124213
** Guide consultable et téléchargeable sur le site de la FFMPS : Le petit Guide de la participation en santé de proximité

 

 

Auteurs: 
Catherine Holué