Juin 2017

Dépression de l'adolescent. Entre ignorance dommageable et étiquetage trop hâtif

Dr Xavier Pommereau


Après avoir longtemps été niée ou banalisée sur l’air de la déprime « normale » à ce moment de la vie, la dépression de l’adolescent est devenue un vrai thème de préoccupation. S’il faut se féliciter que soit enfin reconnue l’adolescence en mal-être, force est de constater qu’un certain flou persiste encore autour de la notion d’épisode dépressif majeur (EDM) à l’adolescence, dont l’existence réclame pourtant dépistage précoce, évaluation approfondie et traitement approprié.

 

De l’ignorance dommageable d’hier à la tentation excessive d’un étiquetage trop hâtif aujourd’hui, gardons-nous des extrêmes pour ne pas nous livrer aux simplifications abusives et aux diagnostics à l’emporte-pièce qui s’affranchiraient du caractère plurifactoriel, évolutif et complexe de cette symptomatologie, à un âge où le rapport à soi et à l’autre est particulièrement tendu.

 

C’est l’objectif de ce dossier que de faire le point sur la dépression à l’adolescence d’une manière à la fois pragmatique et mesurée, en faisant appel à des auteurs expérimentés en mesure d’énoncer des principes clés très utiles pour les omnipraticiens. À l’heure où nous le publions, la HAS s’apprête d’ailleurs à faire connaître en la matière ses nouvelles Recommandations de bonnes pratiques auxquelles certains d’entre nous ont contribué. Jordan Sibéoni et Marie-Rose Moro en font le constat : l’EDM est sous-diagnostiqué et soustraité, ils soulignent l’intérêt des échelles de mesure, en particulier l’Adolescent Depression Rating Scale, et du dépistage précoce, puisque le risque suicidaire doit être craint chez tout adolescent en mal-être. Philippe Binder nous fait part en exclusivité des premiers constats d’une étude par autoquestionnaires menée auprès d’un échantillon représentatif d’adolescents scolarisés. Un nombre croissant de jeunes filles sont amenées à fréquenter de plus en plus souvent les services d’urgence, soit pour TS reconnues comme telles, soit pour des conduites auto-agressives pouvant annoncer des conduites suicidaires ultérieures. D’où l’intérêt des actions de prévention en milieu scolaire dont Daniel Marcelli est un pionnier. Il rappelle l’importance d’un repérage élargi des conduites à risque chez les collégiens et les lycéens et insiste sur la nécessité de suivre tout adolescent suicidaire sans pour autant forcément recourir à l’hospitalisation.

 

Il est vrai que les modalités de celle-ci sont éminemment variables d’une ville, voire d’une région à l’autre, et que l’urgence ne s’accorde pas toujours avec les impératifs d’une évaluation médico-psychologique approfondie. À charge pour les hôpitaux d’offrir des conditions d’accueil et de prise en charge adaptées. Considérer les conduites à risque comme des signes d’appel à prendre en compte est indispensable, et j’en rappelle dans un encadré les cinq critères de gravité à retenir. Tous ces jeunes ne sont pas forcément victimes d’un EDM, mais tout clinicien doit en connaître les critères. Michel Hofmann les décrit et développe les particularités des troubles dépressifs chez l’adolescent, avec des comorbidités pas toujours reconnues. D’où l’importance de la pluridisciplinarité, tant au niveau du repérage que de celui de l’identification des troubles, jusqu’à la formulation d’un diagnostic (lorsque celle-ci est possible).

 

Guillemette Balsan et Maurice Corcos mettent l’accent sur les aspects thérapeutiques de l’EDM qui ne doivent pas se résumer à la prescription d’un médicament. Ils prônent l’approche psychothérapique qu’ils ne réservent pas aux seuls « psys » ; l’omnipraticien est lui aussi un thérapeute, et sa place est centrale tant auprès du patient qu’en médiation avec sa famille. Chaque fois que nécessaire, la prise en charge se partagera avec un « psy » dans un esprit de complémentarité, sachant que, plus que le choix de la méthode psychothérapique elle-même, c’est la qualité des relations et la cohérence entre les différents intervenants qui s’avèrent les plus efficaces – différents aspects du « lien » dont Philippe Duverger recommande le développement et l’étayage.

 

L’adolescent en soin doit être envisagé dans sa globalité. Louis Tandonnet et Daniel Marcelli évoquent en tribune libre dans ce numéro les limites de l’Evidence-Based Medicine (EBM) dans l’approche de la dépression de l’adolescent, dont les différentes composantes, par essence complexes et variables, se prêtent mal aux seules données comportementales et pharmacologiques issues de l’expérimentation.