Octobre 2019

ENTRETIEN AGNÈS BUZYN. « Bénéficier d’une formation pluriprofessionnelle, c’est avancer vers plus de coordination »

Elle est sur tous les fronts depuis la rentrée médico-sociale et politique. Urgences hospitalières, loi de bioéthique, retraite, réformes des études, projet de loi de financement de la Sécurité sociale… Des dossiers parfois explosifs et souvent complexes devant lesquels la ministre de la Santé n’entend pas reculer. Entre acclamations et attaques, ses prises de position sont étudiées à la loupe. Quelle place pour les équipes de soins primaires dans la crise des urgences ? Quel périmètre d’action pour les hôpitaux de proximité ?
Tous les projets article 51 seront-ils pérennisés ?
Agnès Buzyn vous répond.

 

VILLE-HÔPITAL

L’actualité médicosociale est largement dominée par la situation des urgences hospitalières. Est-ce que la résolution de cette crise doit venir d’une réorganisation de la médecine de ville, le fameux virage ambulatoire dont on entend parler depuis des années ?

Les difficultés rencontrées par certains services d’urgences sont le symptôme des dysfonctionnements de notre système de santé. Elles sont le signal d’un détournement de la mission initiale des urgences : dédiés aux urgences vitales, ces services sont devenus une porte d’entrée indifférenciée de notre système de santé. Les patients inquiets ou démunis face à un système de soins parfois difficilement accessible s’y rendent car ils pensent ne pas avoir d’alternatives.

Les professionnels des urgences sont les premiers témoins et victimes de ces dysfonctionnements, car ce sont eux qui accueillent ces patients. C’est pourquoi le Pacte pour la refondation des urgences vise à redonner aux urgences leur juste place, et à proposer aux patients un accès plus facile et rassurant aux soins non programmés.

La médecine de ville a, bien sûr, un rôle essentiel à jouer pour rendre accessibles ces consultations. Mais soulager les urgences, c’est également permettre qu’elles fonctionnent mieux, en répartissant de façon optimale la charge de travail entre les professionnels de santé, grâce aux protocoles de coopération et aux infirmières en pratique avancée, dont le corps sera créé dès 2020. Enfin, pour permettre aux urgences de respirer, il faut que la gestion de l’aval soit facilitée : nous allons mettre en place une gestion des lits d’aval systématique et l’admission directe des personnes âgées dans les services d’hospitalisation.

 

Vous avez renforcé les moyens, notamment financiers, dans les services d’urgences. Faut-il l’entendre comme un échec du virage ambulatoire, du lien ville-hôpital et des missions confiées aux structures coordonnées ?

« Ma Santé 2022 » est une réforme très profonde : elle vise à changer la répartition des rôles entre soignants, la façon dont les services coopèrent entre eux et assurent un lien fluide entre ville et hôpital. Ces changements structurels, aux conséquences durables, prennent du temps. Or certains services d’urgences sont arrivés à un niveau de tension qui justifie que j’y accorde des mesures spécifiques et des moyens dédiés. Ils sont significatifs : 750 millions d’euros dont 80 % seront utilisés pour des recrutements. Mais le Pacte de refondation pour les urgences n’est en rien un point de rupture ; il s’inscrit dans cette stratégie de transformation en profondeur initiée par « Ma Santé 2022 », qui permettra au système de santé de renforcer la qualité des soins tout en soulageant les professionnels de santé, grâce à une meilleure coopération entre eux et entre la ville et l’hôpital.

 

Justement, « Ma Santé 2022 » prévoit de labelliser 500 à 600 « hôpitaux de proximité » d’ici 2022, avec les premiers dès 2020. Quel sera leur périmètre d’action ? Leurs missions s’apparenteront-elles à celles des MSP et des centres de santé ? Quelle articulation entre ces hôpitaux de proximité, les GHT et les CPTS ?

Les hôpitaux de proximité permettront d’assurer les soins qui ne requièrent pas de prise en charge chirurgicale : ce sont eux qui assureront le premier recours aux soins hospitaliers sur leur territoire. Ce seront des acteurs clés de la prévention, de la continuité et de la permanence des soins. Ils participeront également au développement de l’exercice mixte. Par exemple, un professionnel de santé pourra partager son temps entre une MSP et un hôpital de proximité. Un hôpital de proximité pourra aussi proposer des consultations de médecins spécialistes, dans le cadre de consultations avancées. Ces multiples connexions et collaborations vont permettre de construire des organisations territoriales « sur mesure » aptes à répondre aux besoins de la population.

 

MODE D’EXERCICE

« Je veux que l’exercice isolé devienne une aberration. » Ce souhait du président de la République à l’annonce du plan « Ma Santé 2022 » est-il vraiment réalisable ? On connaît le positionnement de certains syndicats libéraux et de plusieurs médecins qui restent très attachés aux valeurs traditionnelles de l’exercice isolé et du paiement à l’acte notamment…

Faire de l’exercice isolé une exception à l’horizon 2022 est un objectif ambitieux. Et je suis déterminée à l’atteindre. Les chiffres nous montrent d’ailleurs que les professionnels de santé de ville exercent majoritairement en groupe, et ceci est d’autant plus vrai pour les jeunes générations de médecins : 81 % des médecins généralistes de moins de 50 ans exercent aujourd’hui en groupe, alors que seulement 54 % des médecins généralistes le faisaient en 2010 (chiffres de la Drees). Je suis convaincue que les professionnels de santé partagent un objectif commun – celui de répondre aux besoins de la population d’un territoire – auquel ils peuvent répondre sereinement… à condition de jouer collectivement.

 

ARTICLE 51

Les projets article 51 se multiplient dans les territoires, portés par des acteurs du terrain soucieux de faire évoluer leur organisation. Qu’adviendra-t-il une fois la période d’expérimentation écoulée ?

Toutes ces expérimentations d’innovation feront l’objet d’une évaluation externe, permettant d’indiquer la suite à donner à ces projets. Au vu du rapport d’évaluation, les deux instances de gouvernance du dispositif – comité technique et conseil stratégique de l’innovation en santé – formuleront un avis sur leur éventuelle généralisation. Cette démarche d’évaluation a fait l’objet d’un guide méthodologique disponible en ligne(1).

 

ORGANISATION

Les équipes sont de plus en plus nombreuses à souligner la nécessité d’une formation pluriprofessionnelle. Que leur répondez-vous ?

Je partage pleinement cette conviction. Bénéficier d’une formation pluriprofessionnelle, c’est avancer vers plus de coordination, favoriser la délégation des tâches et mieux organiser notre système de santé. La réforme des études de médecine, que j’ai menée avec Frédérique Vidal, vise à valoriser la pluriprofessionnalité et la diversité des profils grâce à la fin des épreuves classantes nationales. La loi de transformation du système de santé prévoit aussi d’expérimenter des enseignements communs entre plusieurs filières médicales ou paramédicales, pour favoriser l’acquisition de pratiques professionnelles partagées et coordonnées dès la formation initiale. Enfin, le service sanitaire, qui permettra à 47 000 étudiants en santé de construire des projets communs de prévention, participera à l’émergence d’une culture commune entre professionnels.

 

Le plan « Ma Santé 2022 » propose et implique une responsabilisation et une participation croissantes des patients. Ça c’est la théorie. Qu’en est-il dans la pratique ?

Intégrer davantage le patient dans son parcours, c’est lui donner davantage la parole et les moyens d’être acteur de son parcours de soins. Un chantier est actuellement mené en lien avec la Haute Autorité de santé pour systématiser la mesure de sa satisfaction, sur la base d’indicateurs de résultats – par exemple, mesurer le délai pour se lever en autonomie après une opération… – et ainsi, utiliser les expériences les pratiques des professionnels. Enfin, parce que le dialogue entre patient et professionnel doit commencer dès la formation, « Ma Santé 2022 » prévoit également de faire intervenir des patients dans les formations initiales des professionnels de santé et de les faire participer à l’évaluation des stages des étudiants.

 

Combien de MSP et de centres de santé existent sur le territoire ?

À fin 2018, on comptait 1 420 maisons de santé pluriprofessionnelles et 400 centres de santé. Plus de 300 MSP ont été créées depuis un an. Ces chiffres nous montrent à quel point l’exercice collectif et la coordination progressent. Le développement de ces structures correspond à une vraie attente des professionnels de santé, qui peuvent partager entre eux les questions logistiques ou la configuration de certains outils comme le numérique, par exemple. En travaillant ensemble, ils regagnent du temps médical, répondent ensemble aux besoins de leur territoire, et acquièrent une qualité de vie au travail bien plus conviviale et attractive que s’ils étaient isolés.

 

GOUVERNANCE

Vous êtes à la tête du ministère de la Santé depuis plus de deux ans. Des chantiers encore à entreprendre qui vous tiennent particulièrement à coeur ?

La protection sociale rassemble des défis cruciaux que je veux relever. Je pense notamment au grand âge et à la dépendance, qu’il nous faut mieux prévenir et accompagner. Les enjeux sont énormes : le nombre de personnes dépendantes pourrait doubler d’ici 2050, et les dépenses publiques afférentes augmenter de 35 % d’ici 2030. C’est un sujet qui inquiète, à la fois sur le plan personnel et familial. Les familles ne connaissent pas toujours les accompagnements dont elles peuvent bénéficier, et les métiers du grand âge ne sont pas assez diversifiés et valorisés. Je pense que la France a besoin d’une grande loi sur la dépendance pour que les personnes touchées soient mieux accompagnées et intégrées dans notre société. C’est une responsabilité collective et un devoir de solidarité auquel je tiens beaucoup. des patients pour améliorer