Décembre 2014
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Données de santé : le débat politique est urgent

Gaëlle Desgrées du Loû
Entretien
Dans un livre blanc publié en octobre, le think tank Renaissance numérique formule seize propositions en faveur de la e-santé, pour passer d’un système de santé curatif à un modèle préventif avec les outils numériques. Entretien avec Henri Isaac, docteur ès sciences de gestion, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine et vice-président de Renaissance numérique.
Le secteur de la e-santé, estimé à 2,4 milliards d’euros en 2012, devrait croître à un rythme de 4 à 7 % à l’horizon 2017. Comment cela se manifeste-t-il en termes de solutions numériques ?

Depuis au moins 3 ans, il y a un succès indéniable des objets connectés à destination du grand public, qu’il s’agisse des capteurs d’activité, des tensiomètres, des pèse-personnes… L’application Withings, par exemple, permet de mesurer son activité, son rythme cardiaque, sa tension, son som­meil et de prendre en compte les aspects nutritionnels. Certaines applications sont plus liées à l’acti­vité physique, telles que RunKee­per. Il y en a d’infinies variations. On observe aussi le déploiement de dispositifs autour du diabète, sur des applications mobiles. Les usagers et le corps médical s’ap­puient de plus en plus sur cette mobilité, via les smartphones qui jouent un rôle central.  La télémé­decine se développe par ailleurs beaucoup dans les Ehpad, ainsi que les dispositifs liés à l’obser­vance des traitements.

En quoi le numérique offre-t-il des leviers pour refonder notre système de santé ?

Il y a d’abord un aspect fonda­mental : quand on regarde l’es­sentiel des dépenses de santé en France, elles sont concentrées à 60 % sur des maladies liées au mode de vie, comme les maladies cardio-vasculaires ou les maladies liées au diabète. Si ces patholo­gies étaient mieux prévenues, la probabilité de survenance serait beaucoup plus faible. Cela passe par une modification des compor­tements et une responsabilisation des usagers, qui peut s’appuyer  sur les dispositifs de « tracking ac­tivité », dans la logique du mouve­ment du « quantified self » (auto­mesure des paramètres de santé, Ndlr). Ces données-là pourraient ensuite être compilées, afin de générer des alertes. Nous avons aujourd’hui des capacités de trai­tement de données de type prédic­tif qui permettent d’anticiper un certain nombre d’occurrences de pathologies. Il est ainsi possible de passer à un système préventif, qui, d’un point de vue économique, se­rait extrêmement bénéfique. Rap­pelons qu’aujourd’hui les dépenses de prévention ne représentent que 3 % des dépenses de santé.

Les autorités de tutelle ont-elles pris la mesure de cette « révolution » et ne sont-elles pas en décalage avec les ac­teurs de la e-santé ?

Les agences régionales de san­té (ARS) me semblent être plutôt en phase avec cette transforma­tion puisqu’elles expérimentent ici et là des dispositifs dans les­quels ces objets sont associés. Au niveau du ministère de la Santé, en revanche, on a le sentiment qu’il n’existe pas de prise de conscience forte de cette refon­dation du système de santé. Pour certains acteurs français de la e-santé, comme Orange Healthcare, l’essentiel de l’activité se déroule à l’étranger. On voit bien que dans des systèmes qui ne sont pas fon­dés sur les mêmes mécanismes de financement et de répartition des risques, les acteurs français sont déjà bien présents. C’est le cas en Angleterre, aux États-Unis ou même en Suisse, où ces program­mes passent souvent par le biais des entreprises. Les entreprises incitent leurs salariés à avoir des pratiques saines en leur four­nissant des traqueurs d’activité. Aujourd’hui l’incompréhension majeure en France réside dans le fait qu’une grande partie du corps médical considère que tout cela n’a pas de lien avec la médecine et appartient simplement au do­maine du bien-être.  Au sein de Renaissance numérique, nous défendons plutôt l’idée qu’il s’agit de deux champs complémentai­res, l’objectif de la santé étant le bien-être.

Comment assurer la transition numérique des professionnels de santé ?

Il suffit de voir le développe­ment de la téléconsultation dans les Ehpad pour montrer qu’un certain nombre d’acteurs ont déjà avancé sur le sujet. Le financement du système est arrivé à un point de non-retour et il doit donc considé­rablement être repensé. Nous pré­conisons de repenser le rôle de la médecine du travail. Il y a des para­doxes étonnants. 98 % des salariés qui passent une visite d’embauche sont déclarés en bonne santé, mais il n’y a jamais eu autant de souf­france et de pathologies au travail. La médecine du travail ne joue donc pas son rôle et nous sommes convaincus qu’on pourrait déve­lopper des logiques préventives, en repositionnant son rôle comme médecine de prévention et en y associant les entreprises qui, elles, ont des responsabilités sociétales. Il y a des voies d’action par ce biais qui nous semblent extrêmement importantes.

Vous préconisez d’établir rapidement un système de labellisation des applications mobiles et des objets connectés. Pourquoi ?

Il faut que les données col­lectées à travers des dispositifs mobiles soient fiables. Il est né­cessaire d’avoir une méthodologie commune pour que personne ne puisse contester ces indicateurs. La CNAM ou les caisses régio­nales d’assurance-maladie nous semblent tout à fait légitimes à créer ce système de labellisation, d’autant plus si l’on s’oriente vers une logique de remboursement de certaines applications.  Ce se­rait une logique de prévention in­téressante à déployer.

Pour quelles raisons appelez-vous à assurer l’interopérabilité entre les bases de données qui seront publiques et celles des acteurs privés de la e-santé ?

Si l’on veut développer l’inno­vation en e-santé, il faut impéra­tivement que les start-up puissent accéder à des jeux de données.  Quant au Big Data, il offre la pos­sibilité de faire des corrélations et d’analyser  des corpus de données très importants. Cela nécessite que les données puissent être mé­langées quelles que soient les pa­thologies, afin d’aller vers une mé­decine préventive plus efficace.

Cela pose des questions éthiques sur la confidentialité, le stockage, la conservation et le partage des données recueillies… Comment se prémunir contre de possibles dérives ? 

La question de l’accès aux don­nées est effectivement un enjeu majeur. Il  importe que le secret médical et la vie privée soient préservés. Nous plaidons pour l’existence d’un tiers de confiance dans les données de santé, qui permette d’authentifier les par­ties, de  garantir l’accès aux don­nées et leur intégrité. Il faut dé­velopper des hébergeurs agréés et de confiance. Nous appelons à une prise de conscience politi­que du sujet et à un débat urgent.  Le vote du PLFSS récent montre bien qu’on a évité soigneusement ce débat et c’est bien dommage… Dès lors que ces dispositifs sont le fait de mutuelles, d’assurances ou de caisses de prévoyance, on voit bien les dérives et discrimina­tions potentielles qui pourraient se mettre en place, notamment un système de bonus-malus lié à des comportements qui seraient jugés à risque par les assureurs, sans cadre légal.

Comment la France peut-elle se donner les moyens d’effectuer ce virage préventif ?

La e-santé va faire émerger de nouveaux acteurs. Les entreprises vont jouer un rôle nouveau, ainsi que les assurances et les mutuel­les. Une nouvelle configuration du système de santé peut  se mettre en place s’il y a un cadre de régula­tion cohérent. Nous croyons beau­coup à une médecine du travail complètement repensée. Il est es­sentiel, enfin, pour garantir le suc­cès de cette transformation, que les patients, qui s’appuient sur des communautés, soient associés à la conception des systèmes et aux protocoles médicaux. Bousculés par la vague digitale, les médecins ont aussi un nouveau rôle à jouer. Ils doivent retrouver une place dans un dispositif beaucoup plus horizontal que vertical, où l’intelli­gence collective se développe.

 

Commentaires

Ce système de santé ou les maladies seraient évitées par l'examen de données informatiques est une utopie.
Le malade ne cotise pas pour des utopies il cotise pour obtenir rapidement le diagnostic validé d'un dysfonctionnement de son état de santé et ensuite pour se voir proposer le traitement adéquat.
Hors actuellement ils est estimé que 80% des diagnostics de premier recours sont fantaisistes.
Avant de tirer des plans sur la comète permettons aux médecins d'être en mesure de réduire ces retards de diagnostics avec leurs complications évitables.

La médecine est un art et l'a toujours été. Elle se sert d'un nombre important d'informations plurifactorielle, multidimentionnelle afin d'obtenir un diagnostic probabiliste dont la certitude peut être apportée par l'imagerie avec une certaine marge d'erreur. Nous l'avons vu dans le NJEM de septembre 2013 pour la hernie discale. La médecine par internet et le recueil de données informatiques sur le mode de vie, la glycémie, la Tension artérielle systolique, le nombre de km réalisé par jour en marchant, les variations de pondérales. Toutes ces données sont factuelles et dépendes de l'environnement.

LE MINISTERE DE LA SANTE reste ancré dans son dogme habituel où ces données font partie du bien être et il ne faut pas confondre ce que penses les médecins qui pourrons une fois le patient venu en consultation et partageant ces données factuelle, les intégrer dans la globalité du patient et ce que pense les administratifs afin de remplir des cases en sus afin de définir le patient type statistique à partir duquel la prise en charge pourra être déclenchée financièrement.
Labelliser à partir d'outils utilisés par les médecins alors que ce sont les patients qui seront tenus, forcé de porter sur eux ces traqueurs, traceurs de vie, ne sera qu'un écran de fumée derrière lequel l'administration pourra se fourvoyer dans ces refus de remboursement. Le patient sera ainsi privé de liberté tout simplement.

Le think tank oublie sa compétence quant aux libertés fondamentales du citoyen tout comme le projet de loi de réforme du système de santé qui à chaque paragraphe le législateur oublie sa compétence quant à la constitution française. Ils en oublient même la loi de 2002 sur la liberté des patients et leur droits fondamentaux.

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